« Car les choses et l’être ont un grand dialogue »
(Victor Hugo, « Ce que dit la bouche d’ombre » dans Les Contemplations, 1856)
Claude Batho née Bodier (1935-1981) est l’auteur d’une œuvre ramassée, en noir et blanc, interrompue prématurément par sa disparition à 46 ans des suites d’un cancer. Alors en pleine ascension, elle devenait une photographe de mieux en mieux reconnue, se distinguant par un regard singulier sur les petits instants du quotidien, banals sans l’être, emprunts d’une sensibilité et d’une poésie rigoureuse.
Les sujets sont serrés, les cadrages épurés, souvent centrés sur deux ou trois éléments : des pommes de terre épluchées dans l’évier ; une bouilloire sur une cuisinière ; du linge mouillé dans une bassine ; un enfant qui dort sur le divan ; un regard de mère sur des enfants sages, un regard de femme sur des intérieurs et des extérieurs immédiats, des paysages de montagne aussi. Les titres sont simples, l’ensemble cohérent, parfaitement circonscrit dans la monographie Instants très simples, publiée en 2023 aux éditions Contrejour. L’œuvre apparaît limpide.
Entre arts et industrie, Claude Batho fut formée aux Arts appliqués de Paris (collège Duperré, 1950-1956) et à l’École des beaux-arts (1955-1957). Elle se prépara au professorat de dessin et peinture de l’enseignement technique et opta, après obtention du premier concours de photographe des Archives nationales, pour un emploi de technicienne qu’elle conserva sa vie durant.
La photographie de Claude Batho relève de l’intime ; elle est de l’ordre de l’expression artistique privée, et non du métier. Elle dessinait et peignait, mais ses photos sont le seul de ses arts aujourd’hui connu, et elles émergèrent « tardivement ». En 1977, après deux décennies de pratique dans l’ombre, elle publia Le Moment des choses et fut exposée par la galeriste Agathe Gaillard. Claude Batho fut portée – véritablement mise en lumière – par le mouvement féministe de cette époque et ses publications : Éditions Des Femmes (1977, 1982), revue Des Femmes en mouvement. Les expositions s’enchaînèrent dès lors en Europe, en galeries et en musées. Une œuvre en formation apparaissait : un lieu imaginaire fait de natures mortes et de portraits, entre Normandie et Savoie, où les femmes sont les âmes d’une maison familiale idéalisée peuplée de petites filles et de vieilles dames. Deux nus féminins et un paysage complétaient ce cadre d’où l’homme était exclu.
Après la disparition de Claude Batho vint le temps de la rétrospective. Son mari John Batho – lui-même photographe – développa les ultimes films et circonscrivit l’œuvre en 1982, lors d’une exposition au musée d’Art moderne de la Ville de Paris et le beau livre aux Éditions Des Femmes, Claude Batho Photographe.
Les 347 tirages d’exposition de la donation faite à l’État reflètent trois phases de valorisation : par Claude elle-même – qui s’avère avoir été une excellente tireuse –, par Philippe Salaün dans les années 1980 pour les rétrospectives, et enfin par John Batho dans les années 2010, avec des impressions numériques et une ouverture centrée sur Héry-sur-Ugine (Savoie), lieu de vacances familiales depuis 1955. Deux autres ensembles se distinguent : des photogrammes très graphiques réalisés au début des années 1960 dans sa pratique de la peinture sur soie, et une série sur le jardin de Claude Monet à Giverny alors que son mari y photographiait également (octobre 1980). La littérature mentionne d’autres axes de recherches, non représentés.
Élégante et sensible, la photographie de Claude Batho est le reflet de sa constance et de sa rigueur. John Batho dit d’elle qu’elle tenait son sillon et c’est la raison pour laquelle son œuvre est si digne, qu'elle était une véritable artiste. En 2023, la famille de Claude Batho – John et leurs filles – a fait don à l’État de 477 tirages noir et blanc, de trois cartons d’archives et un autre de publications. La quasi-totalité des images sont présentes sur la base POP Mémoire, sans les multiples mais avec les variations de cadrage (353 notices).
Les archives de Claude Batho sont consultables sur rendez-vous à la MPP au fort de Saint-Cyr (Montigny-le-Bretonneux).
Ronan Guinée (chargé du fonds de Claude Batho), 2024
Il est peu aisé de distinguer les expositions personnelles des expositions collectives car les galeries et les musées avaient coutume de présenter plusieurs photographes ensemble. La liste ci-dessous a été définie à partir des archives de la donation affectée à la MPP. Jugées collectives, les expositions thématiques ne sont pas mentionnées.
1964 Galerie du quai aux Fleurs, Paris
1977 Galerie Agathe Gaillard, Paris
1978
Centre d’images contemporaines Fotografis, Bologne (Italie)
Canon Photo Gallery, Amsterdam (Pays-Bas)
Galerie 31, Vevey (Suisse)
Centre d’animation culturel de Saint-Médard-en-Jalles (Gironde)